Entrevue : le brassage gourmand des cultures avec Tiradito
Depuis 2016, le chef Marcel Larrea et son associée Julie Casals invitent leurs clients à découvrir la cuisine Nikkei, qui fusionne les traditions culinaires péruviennes et japonaises, au sein de leur élégant et festif restaurant. Une approche qui prouve, à l’heure où il est plus que jamais question d’interculturalisme, que le brassage des genres est une belle avenue.
Rédigé par Sophie Ginoux, journaliste Milo
Marcel Larrea est d’origine péruvienne. Il est né et a grandi à Lima, une capitale gastronomique où la cuisine a évolué au fil des flots d’immigration, en faisant une des plus diversifiées au monde. Après avoir étudié à la célèbre école Cordon Bleu locale, il travaille notamment pour Gastón Acurio, un chef qui a donné une impulsion majeure à la gastronomie péruvienne et qui est considéré comme une référence pour les nouvelles générations de cuisiniers. Auprès de son mentor, Marcel apprend à maîtriser de nombreuses techniques, s’intéresse à la cuisine moléculaire et approfondit sa connaissance de plusieurs tendances qui réinventent les traditions culinaires latines – et que l’on regroupe sous l’appellation générique de Nuevo latino.
En s’installant à Montréal, le chef a emmené son savoir-faire particulier dans ses bagages. En 2012, il fonde l’ex Mezcla, un restaurant gastronomique dont le raffinement et l’originalité ont rapidement marqué les esprits. Toutefois, lui et Julie Casals, qui travaillait déjà à ses côtés, avaient envie de rendre cette cuisine inédite plus accessible et conviviale. De là est née l’idée du Tiradito, qui a ouvert ses portes au centre-ville en 2016.
Philosophie inclusive
Le terme tiradito désigne un plat typique de la cuisine Nikkei, qui mêle la tradition culinaire péruvienne à celle de la diaspora japonaise installée sur place depuis la fin du 19e siècle. Il s’agit d’un ceviche de poisson – une des grandes spécialités du Pérou – dont les tranches sont coupées comme des sashimis et servies avec de petits accompagnements. En choisissant ce nom pour son restaurant, Marcel voulait afficher ses couleurs. « La philosophie qui me guide, c’est celle de la fusion des cultures. Je reprends des recettes de la tradition Nikkei et, puisque je vis au Québec, je les interprète avec des produits locaux. Je crée ainsi des plats totalement nouveaux dans lesquels je fusionne mes racines et mes souvenirs d’enfance avec la société dans laquelle je vis aujourd’hui. »
Cette cuisine d’auteur correspond aux yeux du chef et de son associée à la vision que les Péruviens entretiennent avec leur gastronomie. « Plutôt que de se barrer aux nouveautés, ils ont adapté leur cuisine aux influences des immigrants et ont créé de nouvelles tendances culinaires, dit Julie Casals. C’est magnifique, ce mélange des cultures. »
La vision inclusive du Tiradito ne se décline pas que dans les plats. Dans l’espace de 2 000 pieds carrés du restaurant, la frontière entre les cuisines et la salle à manger a été brisée : un grand bar central, au centre duquel s’affairent côte à côte les serveurs et les cuisiniers, accueille la majeure partie des clients. On peut donc au fil de sa visite observer l’élaboration des assiettes et se faire servir par tous les membres de la brigade, qui se répartissent de manière égale les pourboires. « Les cuisiniers ne sont pas, comme on le croit souvent, des êtres bougons. Ils aiment eux aussi parler de leurs passions, et nos visiteurs adorent ça! », explique la gérante.
Voyager par les papilles
Chaque visite au Tiradito est une découverte en soi. On y savoure sous forme de tapas des poissons, des fruits de mer, des légumes, des viandes blanches et brunes ainsi que des abats apprêtés de toutes sortes de manières. « On retrouve dans les recettes les cinq éléments de base de la cuisine péruvienne, explique Marcel. De l’ají amarillo (un piment jaune doux, aromatique et très versatile en cuisine), des oignons, de la coriandre, de la lime et deux sortes de maïs, le cancha qui croustille lorsqu’il est rôti, ainsi que le choclo, que l’on utilise pour apaiser les recettes épicées. »
Même si le chef a une réelle passion pour les produits de la mer, il propose aussi sur son menu des spécialités réinventées à base de viande comme un anticucho (petite brochette) de cœurs de canard. Il crée aussi des desserts à base de fruits péruviens, tout en gardant quand même à sa carte les traditionnels picarones, des beignets de patate douce et de courge servis avec une sauce sucrée.
Au-delà du dépaysement immédiat que ces petits plats colorés et savoureux procure, il faut savoir qu’une large partie des ingrédients vient d’ici. Poissons et crustacés de Gaspésie, champignons des sous-bois du Québec, palourde royale de Colombie-Britannique, sirop d’érable… Comme l’affirme le chef : « Pourquoi irais-je commander des produits congelés ailleurs alors qu’ici, je trouve de magnifiques produits frais? Cela me permet d’être plus créatif. »
Un mélange des genres qui se retrouve d’ailleurs aussi dans les verres du Tiradito grâce à une carte des vins abordable, « mais avec un petit plus », souligne Julie Casals, ainsi qu’à une liste de cocktails fusionnant le Pérou et le Québec – à l’image du Pisco Spritz, élaboré avec du Pisco, l’alcool traditionnel du Pérou, et du spritz Les Îles, produit d’ici. « Notre objectif, pour tout ce que nous servons, est d’obtenir un maximum de saveur avec le plus de simplicité possible. »
2020, une année charnière
Comme beaucoup de restaurateurs, les propriétaires du Tiradito (et du Chifa voisin, dont la cuisine Nikkei est plus teintée d’influences chinoises) ont subi de plein fouet la pandémie. Après deux mois de fermeture, ils ont toutefois commencé à proposer une formule de plats à emporter, puis ont rouvert leurs portes le 24 juin dernier. « J’ai pris conscience qu’être un chef n’était pas suffisant dans ce genre de situation et qu’il fallait qu’on encourage encore plus les produits locaux », avoue Marcel. Ce qui s’est traduit par davantage d’achats de produits frais, mais aussi de matériaux de rénovation et de désinfectant québécois.
Le Tiradito, déjà très convivial dans l’esprit, est également devenu plus festif pour faire oublier à ses clients la morosité ambiante, s’inspirant de son petit frère le Club Pelicano. « À défaut de voyager physiquement, les gens qui viennent nous voir voyagent par les papilles et trouvent ici un accueil chaleureux, indique Julie. Un peu comme s’ils allaient s’attabler chez leurs voisins! »
Dans cette idée de tourisme local, la startup Milo est un bel encouragement à l’économie et une invitation à la découverte selon Julie, qui se rappelle les raisons de leur partenariat. « Avec ce qu’on est en train de vivre, j’avoue qu’on est plus encore plus concentré sur ce tourisme qui est la nouvelle tendance 2020, raconte-t-elle. Il y a beaucoup de personnes qui nous ont découvert grâce à cette application et qui ne connaissaient pas la cuisine péruvienne. »
Tiradito
1076, rue de Bleury – Montréal