Achat local : l’essor des fleurs écoresponsables
Le slow-flower, vous connaissez? Ce mouvement promeut l’achat de fleurs cultivées de façon éthique et le plus proche de chez soi. Cela implique certes d’attendre le printemps et l’été pour recevoir ou offrir un bouquet, mais cette tendance permet aussi de réduire considérablement notre empreinte carbone et de (re)découvrir les fleurs écoresponsables du Québec.
Rédigé par Claire-Marine Beha, journaliste Milo
Photo : Floramama / Stéphane Cocke
En mars dernier, le gouvernement du Québec estimait que les fleuristes n’étaient pas des travailleurs essentiels. Les commerçants du secteur ont dû fermer boutique temporairement et jeter une grande quantité de fleurs, faute de pouvoir les donner par peur de la contamination. Parmi ces fleurs gaspillées, nombre d’entre elles avaient fait le voyage depuis la France ou les Pays-Bas, où le printemps est plus hâtif qu’au Québec.
Une catastrophe économique – et écologique – qui n’est pas arrivée à Laurie Perron, la propriétaire de la boutique Jungle fleur, dans le quartier d’Hochelaga-Maisonneuve. Son créneau? Les fleurs locales, uniquement. C’est sur la Rive-Sud de Montréal qu’elle cultive la majorité des fleurs qu’elle vend d’avril à octobre, quand elle ne s’approvisionne pas auprès d’une poignée d’autres fermes florales québécoises comme Floramama, Pivoines Capano ou Origine Fleurs. Alors qu’une pénurie de végétaux internationaux frappait la province, Laurie débutait à peine sa récolte.
La pandémie, un accélérateur de la tendance
Pour adoucir leur quotidien en temps de crise, des amateurs de fleurs se sont tournés vers les abonnements de bouquets de fleurs fraîches du Québec, un concept de plus en plus à la mode. L’essor a été sans précédent et plusieurs productrices ont vu leur chiffre d’affaires bondir. « Ça a été une année folle pour nous : on a plus que doublé nos abonnements, réagit Chloé Roy, fondatrice de la ferme Floramama située à Frelighsburg, dans les Cantons-de-l’Est. Les marchés ont moins fonctionné à cause de l’aspect rassemblement et on n’a plus de mariages, mais ça ne nous a aucunement affectés. La réponse était tellement belle! Les bouquets étaient des petits bonheurs que les gens pouvaient s’offrir. »
Même constat chez Jungle fleur ; cette année, c’est la première fois que Laurie et son employée n’ont pas pu vendre de bouquet à l’unité à côté des bouquets pour leurs abonnés. Jungle fleur a également traité de nombreuses commandes en ligne pendant le confinement, notamment en mai et juin, alors que les Québécois avaient le temps et l’envie de reverdir leur foyer. Résultat : la COVID-19 n’a eu que des impacts positifs sur les deux petites entreprises… et les fleurs locales ont été les grandes gagnantes de l’été.
Photo : Jungle fleur / Sarah Quesnel-Langlois
Des fleurs plus éthiques
Puisque Laurie a complètement cessé d’importer des fleurs de l’étranger, y compris du reste du Canada, son activité de fleuriste s’étend six mois par année. Lorsqu’elle lance Jungle fleur en 2014, il lui faut faire preuve de pédagogie pour expliquer à sa clientèle que rien ne pousse au Québec l’hiver et que si les fleurs sont achetées hors saison et hors des frontières, leur coût écologique n’en vaut sûrement pas la peine. « C’est sûr que c’est tentant de faire de l’argent à l’année, dit-elle. On se fait encore beaucoup appeler pour des roses rouges à la Saint-Valentin ou pour des pivoines en septembre et c’est facile d’avoir tout ça n’importe quand, mais je ne suis pas alignée avec ces valeurs. »
D’ailleurs, les gens n’ont-ils pas simplement été formatés à acheter des roses en plein hiver, sans s’inquiéter des conséquences environnementales? « Quand on sait tout ce qui se cache derrière, je ne pense pas qu’on soit encore content de recevoir ce bouquet-là, répond la fermière-fleuriste. Moi ça ne me fait pas plaisir que les fleurs aient fait 5 000 km d’avion, qu’il y ait des pesticides, de ne pas connaître les gens qui les récoltent, leurs conditions de travail, etc. On ne sait pas si c’est éthique, mais on sait que ça pollue et pour que la fleur soit si droite et si parfaite, il y a quelque chose qui a été forcé quelque part! »
Le problème selon Laurie, c’est que très peu de gens font l’exercice de penser au chemin qu’ont parcouru les fleurs avant d’arriver dans leur vase, encore moins que pour les fruits et légumes. Sur le banc des accusés? La mondialisation, qui sévit depuis les années 90 dans l’industrie de la floriculture au Canada. Les importations de fleurs étrangères ont explosé tandis que la production au pays baisse un peu plus chaque année. Sans oublier les pesticides utilisés, qui allègent la facture et rendent ainsi l’achat de fleurs non canadiennes ou québécoises rentable.
« Quand je me suis lancée, je voyais déjà un engouement fort de la part de fleuristes qui cherchaient des produits naturels avec un look plus sauvage. Pas les fleurs super rigides qu’on voit dans les commerces, mais des fleurs un peu imparfaites, un peu croches, avec une certaine poésie… »
En réponse à ces importations massives, la fleuristerie écoresponsable prend de l’ampleur depuis quelques années. « En 2014, quand je me suis lancée, je voyais déjà un engouement fort de la part de fleuristes qui cherchaient des produits naturels avec un look plus sauvage. Pas les fleurs super rigides qu’on voit dans les commerces, mais des fleurs un peu imparfaites, un peu croches, avec une certaine poésie », se souvient Chloé. Désormais, en plus des abonnements saisonniers, les bouquets fermiers de Floramama sont vendus dans plusieurs points de vente à travers la province, comme dans les succursales Avril Supermarché Santé, Vrac & bocaux, le café Fouvrac, le Standard Café Westmount ainsi que plusieurs fleuristes qui ont à cœur de mettre les fleurs locales en avant.
C’est le cas d’Oursin fleurs, qui a pignon sur rue dans le Village à Montréal depuis quelques semaines. Inspirée par le collectif de la fleur française et le mouvement slow-flower américain, Julie Richer est motivée par des valeurs écologiques et privilégie les fleurs d’ici dès que la météo le permet. Son concept est minimaliste : un bouquet seulement est proposé par semaine, en plus de quelques fleurs à la tige, de plantes vertes et d’une sélection d’objets d’artisans.
« Si je voulais que mon projet de boutique soit réaliste à l’année longue, je devais inclure les autres provinces canadiennes dans mon approvisionnement », nuance-t-elle. À la saison froide, elle se tourne donc vers l’Ontario, en particulier la région des Grands Lacs qui possède un microclimat et produit en serre certaines variétés comme le lisianthus, le muflier et les chrysanthèmes. Certains de ses clients sont également déçus lorsqu’ils comprennent qu’elle ne vend pas les traditionnelles roses rouges. « C’est vrai que mon choix de fleurs est limité, mais il respecte plus la saisonnalité et il me permet d’avoir moins de perte, ce qui est important pour moi. »
Photo : Oursin Fleurs
Respecter les saisons
L’hiver, Floramama prend une pause bien méritée. Sa fondatrice se réjouit de cette lenteur après plusieurs mois de labeur effréné : « Ça fait des rythmes aussi dans notre vie et on n’est pas toujours en train de travailler comme des fous, indique Chloé. L’hiver on se pose, on planifie la prochaine saison, on revient sur la précédente… Je trouve ça vraiment sain. » La fermière ne souhaite pas investir dans des serres chauffées en hiver, qui sont très énergivores et beaucoup plus adaptées aux cultures à grand déploiement qu’à une ferme florale à échelle humaine comme la sienne.
Laurie de Jungle fleur se concentre quant à elle sur la vente de plantes en hiver, et propose aussi des bouquets de fleurs locales séchées qu’elle produit spécialement pour cette période de l’année. « Quand on a commencé, c’était perçu comme quelque chose de quétaine, et maintenant c’est très demandé, s’amuse-t-elle. C’est le plaisir de faire sécher soi-même, d’expérimenter avec les fleurs, d’essayer des choses! » Désormais sensibilisés, plusieurs de ses clients prennent des pauses de fleurs dès l’automne afin de respecter ce que chaque saison québécoise a de bon à leur offrir.
Vers une nouvelle consommation de fleurs?
« On parle beaucoup d’achat local et de saisonnalité, mais il faut faire attention : c’est parfois trompeur quand des commerçants précisent que “c’est la saison de”, souligne Laurie, évoquant les nombreuses pivoines européennes qui arrivent au Québec peu de temps avant la saison des pivoines québécoises. Elles se ressemblent tellement que c’est difficile de les différencier. En fait, il faudrait toujours préciser d’où ça vient, même si c’est du Canada, car on a un grand territoire! »
Ce souci de transparence préoccupe aussi Julie, qui n’hésite pas à ouvrir le dialogue avec ses clients. « De plus en plus d’épiceries indiquent la provenance de leurs produits, pourquoi pas un fleuriste? questionne-t-elle. Souhaitons que la mode de la fleur locale ne soit pas qu’une mode, mais permette une réflexion plus profonde sur notre consommation du beau. »
Certes, il reste facile de trouver des roses voire des tulipes en plein hiver, et certains amateurs de fleurs ne sont probablement pas encore prêts à se passer d’arrangements floraux pour Noël ou le 14 février, mais la sensibilisation à l’achat local semble porter ses fruits. « Désormais, il y a chaque jour des gens qui découvrent les fleurs locales et ça va durer encore plusieurs années », croit fermement Chloé, qui se réjouit de voir pousser d’autres fermes florales un peu partout dans la province depuis deux ans.
Laurie évoque aussi la hausse de popularité qu’a connu le jardinage ces derniers mois. Selon la fermière-fleuriste, ce retour à la terre et la consommation éthique et locale sont interconnectés et s’épanouissent tranquillement ensemble. « On a réalisé en 2020 que les choses sont difficiles à avoir quand tout est fermé, mais aussi qu’on peut aussi les cultiver nous-mêmes… »
Photo : Floramama / Stéphane Cocke