Ciné-parcs : le retour en force du grand écran en plein air
Pour beaucoup de Québécois, le ciné-parc, c’est un brin magique. On avait toutefois peur que les derniers en activité ne disparaissent pour de bon… Mais avec la pandémie, les ciné-parcs prouvent qu’ils savent toujours nous distraire, et aussi se réinventer.
Photo : Vroom! / Moment Factory
Comme bien des enfants de la génération X, Steve Lussier se souvient avec nostalgie de ses visites hebdomadaires au ciné-parc quand il était jeune. « C’était un vrai happening pour nous! À cette époque, il n’y avait pas autant de chaînes de télévision et pas d’internet. Alors aller au ciné-parc pour voir un programme de deux films et se coucher tard, c’était la fête! »
De son côté, Brigitte Mathers, qui dirige le Ciné-parc Saint-Eustache fondé par son père en 1971 et qui a grandi dans cet univers, se souvient très bien des haut-parleurs en métal pendus aux poteaux qui voisinaient chaque véhicule et qu’on accrochait aux vitres pour écouter le film. « Maintenant, les gens syntonisent leur poste de radio. Mais le plaisir associé à cette expérience demeure le même. On ne vient pas vivre la même chose dans un cinéma traditionnel ; le ciné-parc, c’est une formule en plein air, avec peu de contraintes et abordable pour les familles. »
D’hier à aujourd’hui
L’expérience du ciné-parc n’a pas beaucoup changé depuis son apparition au Québec dans les années 1970. On se rend toujours sur place en voiture, on se stationne devant un immense écran et on s’installe comme on veut pour assister à sa séance. Les voitures familiales et les boîtes des pick-ups s’emplissent de coussins et de couvertures. Les toits ouvrants, les chaises pliantes et les glacières se déploient. Chiens et enfants jouent autour du véhicule. Des bouteilles de bière et des verres de vin trinquent. Ce joyeux désordre se poursuit jusqu’à la tombée de la nuit, qui marque le début du premier film. C’est sympathique, informel et quétaine juste ce qu’il faut.
Mais le ciné-parc a aussi pris récemment une autre dimension. Pandémie et distanciation sociale obligent, il est devenu le vecteur de plusieurs initiatives surprenantes. On a ainsi monté au Ciné-parc Saint-Eustache des soirées d’humour, Ce soir on char, réunissant sur scène plusieurs artistes incapables de se produire dans des salles au cours de l’été. Le spectacle, enregistré en direct devant un des écrans, était diffusé simultanément dans les autres, ce qui permettait à plus de 2 000 véhicules d’y assister.
« Contrairement à la croyance populaire, ce n’est pas vrai que les ciné-parcs attirent moins de monde qu’avant »
De son côté, Musicor, qui organise habituellement des spectacles de grande ampleur, a innové et lancé Musiparc, une tournée de 100 spectacles à travers 5 villes sur le principe du ciné-parc. « On s’est inspirés d’initiatives du même genre en Allemagne et au Danemark, et on a ainsi réussi à faire en sorte que 35 artistes privés de scènes et de festivals puissent se produire », relate Sébastien Côté, directeur principal chez Musicor. Cette nouvelle formule a très bien fonctionné : « L’accueil public a été exceptionnel. Tout le monde a dû un peu s’adapter, mais la qualité et le son des spectacles étaient exemplaires. »
Espèce en voie de disparition?
Est-ce que la COVID-19 a permis de faire renaître de ses cendres un genre qui s’apprêtait à disparaître? Que reste-t-il effectivement aujourd’hui de l’invention de l’américain Richard Hollingshead Jr., qui a créé le ciné-parc en 1933? Si, au sommet de leur popularité, on comptait 43 ciné-parcs au Québec, il n’en reste aujourd’hui plus que 5 permanents et 4 temporaires.
Plusieurs facteurs expliquent cette raréfaction des grands écrans en plein air : l’apparition des cassettes VHS et des clubs vidéo, la montée en flèche du prix des terrains, souvent immenses dans ce type de complexes, et enfin et surtout l’importance des investissements liés à la conversion numérique des équipements de projection dans les années 2010.
Pourtant, des promoteurs de la relève croient encore dans ce concept. C’est le cas de François Pradella, à la tête du Cinéma Magog, et de son partenaire Yvan Fontaine, propriétaire de son côté du Cinéma Princess à Cowansville et du Cinéma Cartier à Québec. Ils ont en 2019 racheté le Ciné-parc Orford, qui fête ses 50 ans d’existence, avec des projets pleins la tête : « On évolue déjà dans ce milieu, donc ce choix était naturel pour nous, explique François. Et contrairement à la croyance populaire, ce n’est pas vrai que les ciné-parcs attirent moins de monde qu’avant. » Le Ciné-parc Orford a connu une croissance de 20% au cours des cinq dernières années. « L’année 2019 a été la meilleure jamais enregistrée, avec plus de 500 000 entrées! », ajoute le promoteur.
Le ciné-parc de demain
Le caractère singulier, bon enfant et abordable du cinéma en plein air fait toujours mouche auprès des familles et des groupes d’amis. Mais est-ce que les productions scéniques dans des ciné-parcs auront encore la côte en 2021, si la pandémie actuelle est contrôlée? Sébastien Côté en doute : « Les tourneurs comme nous avons des équipements destinés à des foules de plus de 6 000 personnes. On a donc dû couper dans nos honoraires, au même titre que les artistes, pour produire Musiparc. Il serait donc étonnant qu’on répète cette formule si les choses s’arrangent. »
François Pradella pense lui aussi que la plupart des initiatives et des ciné-parcs de fortune qui ont vu le jour en contexte de pandémie ne seront pas de retour : « Je crois que l’avenir du ciné-parc est dans le cinéma, pas autre chose ». Dans cette optique, il a lui aussi innové cet été en montant, en collaboration avec l’entreprise Moment Factory, l’expérience Vroom, un savant mélange de cinéma d’animation et d’effets visuels et sonores. Au vu du succès remporté par cette nouveauté, il a présenté un classique, Retour vers le futur, avec la même logique de cinéma augmenté. « Il fallait peut-être être fou pour embarquer dans ce pari risqué, car on a investi des sommes colossales dans ce projet. Mais je suis convaincu que le cinéma augmenté est une piste à explorer dans le futur… »
Photo : Musiparc / Louis Charland
Les ciné-parcs actifs au Québec :
– Ciné-Parc Saint-Eustache : 555, avenue Mathers – Saint-Eustache / Site web
– Ciné-Parc Orford : 2751, rue Roméo-Lacroix – Sherbrooke / Site web
– Ciné-Parc Belle-Neige : 6820, route 117 – Val-Morin / Site web
– Ciné-Parc Paradiso : 210A, commerciale Est – Chandler / Site web
– Ciné-Parc Saint-Hilaire : 800, chemin du Ciné Parc – Mont-Saint-Hilaire / Site web