Escapades, Montréal

Montréal, royaume de l’art urbain

Montréal est devenue il y a quelques années une destination de référence pour l’art de rue, et malgré la pandémie les projets artistiques se multiplient et s’adaptent à cette nouvelle réalité. Et pour les amateurs du genre, il est facile de profiter des nombreuses œuvres publiques tout en gardant ses distances.

Rédigé par Claire-Marine Beha, journaliste Milo

Photo : Mur de la joie de Marc-Olivier Lamothe / Yasuko Tadokoro

« Ça fait tellement de bien de créer à nouveau dehors! lance l’artiste Marc-Olivier Lamothe entre deux murales qu’un client lui a commandé pendant le confinement. Ça s’appelle les murs de la joie et il y en aura cinq au total. L’idée est d’apporter une pause positive aux passants tout en égayant les quartiers dans lesquels elles se trouveront. »

Alors que la crise sanitaire force la métropole à transformer ses espaces publics, de nouveaux designs émergent. C’est le cas de l’avenue Mont-Royal, qui a été fermée aux voitures pour faciliter les mesures de distanciation et l’accès aux commerces de proximité. Afin d’inciter les piétons à la déambulation et rendre l’asphalte un peu moins banal, l’organisme MU y a développé une œuvre au sol de 2,5 kilomètres de long. Une trentaine d’artistes se sont passé le rouleau pour concevoir cette fresque bleue en 32 tableaux.

En plus de ce projet titanesque, l’organisation pionnière en art urbain a été sollicitée afin de concevoir divers marquages au service de la distanciation et de la réorganisation des voies publiques. « Pour que ce soit plus ludique et coloré que simplement des points ou des flèches signalétiques, explique Corinne Lachance, adjointe aux directions chez MU. Par exemple, pour l’arrondissement Ville-Marie, on a peint une cinquantaine de blocs de béton. Chez MU, on réfléchit constamment à comment rendre l’espace public plus artistique, donc on souhaite intégrer l’art à ces nouveaux besoins de santé publique. »

Photo : Avenue Mont-Royal / Olivier Bousquet

Des ajustements ont été aussi adoptés du côté de MURAL. Le festival, qui n’a pas pu déployer ses activités comme d’habitude en juin dernier, produit tout au long de l’été diverses murales dans les environs du boulevard Saint-Laurent, dans le respect des mesures sanitaires et sans grands rassemblements. Cette mouture inédite propose aussi au public une riche programmation en ligne. De plus, l’événement s’apprête à produire une murale de l’artiste canadien Patrick Forchild dédiée aux travailleurs de la santé sur un mur extérieur de l’Hôpital général juif.

À l’heure où les galeries rouvrent doucement leurs portes, des artistes visuels perçoivent aussi la rue comme un terrain de jeu sécuritaire. La ruelle verte Le Raccourci, tenue par les artistes Melsa Montagne et Nicolas Des Ormeaux, s’est par exemple convertie en lieu d’exposition et accueille le travail d’une trentaine d’artistes. « Et ça va continuer de grandir, s’enthousiasme Melsa. Ça permet aux visiteurs de voir des œuvres éphémères en vrai, tout en gardant leurs distances. »

Enfin, initié par Paperole au printemps dernier, le collectif Les couleurs essentielles a rendu hommages aux travailleurs essentiels en affichant un peu partout dans la ville plusieurs illustrations aux teintes vibrantes. « Il y avait déjà beaucoup de solidarité au sein de la communauté locale d’artistes, mais là je l’ai ressentie encore plus », ajoute Marc-Olivier, qui était aussi l’un des participants. Populaire, le projet a même vu ses œuvres être ensuite projetées sur des murs de la ville grâce à MAPP_MTL

Capitale de l’art de rue

Art Public Montréal recense plus de 1 000 œuvres publiques permanentes. Le site web, mis en place en 2015 par la Ville de Montréal, propose plusieurs parcours afin que touristes et résidents puissent localiser les œuvres facilement. « L’art urbain a toujours existé, mais il est maintenant plus encadré. Et les murales sont en perpétuelle augmentation », confirme la chargée de projet de la plateforme, Laura Garrassin. La pandémie a sans doute amplifié l’intérêt pour l’art public, croit-elle, alors que les promenades à l’extérieur sont devenues une des rares activités avec un faible risque de contamination au coronavirus. 

« Entre 2012 et 2015, Montréal est devenue une capitale de l’art urbain », tranche Corinne, dont l’organisme est en place depuis 2006. « Les Montréalais n’ont pas peur de la diversité des styles, ils n’ont pas peur que ce soit dépareillé, éclectique et hors de leur zone de confort! », constate à son tour Marc-Olivier.

En effet, grandes peintures murales, sculptures permanentes et collages éphémères se côtoient dans les espaces publics de la ville. MU et Marc-Olivier utilisent d’ailleurs la même expression pour décrire Montréal, celle de « musée à ciel ouvert », et ce hasard semble confirmer que les artistes et regroupements locaux travaillent pour ce même but, parfois sans même se concerter.

Photo : MU Leonard Cohen / Olivier Bousquet

« Il y a une ouverture de la ville depuis longtemps, ils sont de bons facilitateurs pour les questions logistiques et de permis, rappelle Corinne. On a aussi un Programme d’art mural à la Ville de Montréal depuis 2016, ce qui n’est pas le cas partout! Ça démontre une grande compréhension de cette forme d’art. » La municipalité indique encourager la création de murales depuis les années 70, même si la plupart de ses actions pour soutenir la création d’art mural ont été prises à partir de 2007, au départ pour prévenir les graffitis et les remplacer par des fresques.

De plus, dans la dernière décennie, plusieurs joueurs comme MURAL et MU mais aussi le Quartier des Spectacles ont propulsé des projets d’envergure en art urbain, que ce soit des installations éphémères ou des fresques conçues pour rester, comme l’immense murale de Leonard Cohen inaugurée en 2017 sur l’édifice du 1420 rue Crescent et devenu un emblème de l’identité artistique de la ville. L’œuvre est d’ailleurs visible depuis le belvédère du Mont-Royal : une autre découverte qu’il est aisé de faire en temps de pandémie.

« On reçoit de plus en plus d’appels et on doit beaucoup moins démarcher qu’auparavant, réalise Corinne. Il y a encore de l’éducation à faire, mais quand on a débuté, le monde ne faisait pas la différence entre les formes d’art urbain. Quand on parlait de murales, les gens pensaient aux graffitis, dans le style du lettrage des années 90! » L’art urbain est désormais perçu comme une valeur ajoutée par certaines entreprises qui, souhaitent se doter d’une fresque sur leur façade ou dans leurs bureaux ; Marc-Olivier et Corinne indiquent recevoir de plus en plus de demandes corporatives.

Créer pour un public accidentel

Cet engouement croissant ravi MU. « C’est important que l’art soit partie prenante de la vie, et pas juste une pause de la vie quotidienne, il faut faire en sorte qu’il soit intégré au quotidien », soulève Corinne. 

Le rapport avec les spectateurs s’inscrit dans une dynamique différente par rapport aux musées et galeries, où la popularité d’une peinture peut-être plus facilement mesurée. « On n’a pas de chiffre exact, rapporte Laura d’Art Public Montréal. Notre principal défi est d’amener les gens à aller voir de l’art urbain par eux-mêmes. On a une carte papier disponible un peu partout et on sait qu’elle est prise, mais on ne connaît pas précisément les retombées. On est donc en préparation d’un podcast pour cet automne afin accompagner le public dans un parcours. » 

Toutefois, c’est justement cette relation aléatoire entre le public et l’art de rue qui séduit de nombreux artistes visuels. « En apportant mes dessins dehors, je me suis rendu compte qu’ils ont un impact, ça crée des échanges spontanés pendant la création, indique Marc-Olivier, qui a notamment trouvé son pseudonyme de « créateur de joie » depuis qu’il décline ses motifs colorés et ludiques dehors. Je ne crois pas qu’on puisse choisir comment les gens vont se sentir devant nos œuvres, mais on m’a dit de nombreuses fois que mes créations rendaient heureux. Et en ce moment, on a tous besoin d’un peu de joie. »

Photo : MU Embassy of Imagination / Olivier Bousquet

À l’instar du projet Les couleurs essentielles qui souhaitait faire passer un message de gratitude, l’art urbain permet aussi d’amplifier des causes et leurs revendications. La fresque au sol La vie des Noir.es compte a vu le jour sur la rue Sainte-Catherine en juillet dernier, à la manière d’un cri de ralliement pour le mouvement Black Lives Matter et en réponse aux violences policières perpétrées contre les Noirs. 

Récemment, MU a également vu croître l’intégration d’œuvres publiques au sein de projets multidisciplinaires, notamment en revitalisation urbaine. L’organisme a pris part au projet du Corridor vert des cinq écoles à Montréal Nord mené par Soverdi, un organisme de reverdissement.« Ces écoles sont situées sur un même axe et il fallait améliorer les alentours pour que les enfants puissent se promener d’une école à l’autre dans un espace vert. Des murales ont été intégrées à ce projet-là. On se rend compte que ça enrichit vraiment les projets quand on collabore à plusieurs », pense Corinne.

Selon elle, l’art public doit toujours chercher à s’ancrer véritablement dans les communautés locales. « Les gens doivent s’approprier l’œuvre et elle ne doit pas seulement être une carte blanche pour un artiste ; elle doit s’intégrer dans le contexte local. »

Photo : MU Mayan Old Song Opena New World / Olivier Bousquet