Entrevue : l’Abitibi vue par l’artiste Samian
Rappeur engagé, poète, photographe et acteur à ses heures, l’artiste multidisciplinaire Samian a grandi dans la réserve algonquine de Pikogan, non loin d’Amos, en Abitibi-Témiscamingue. Ce grand voyageur et amateur de nature nous fait découvrir ses perles de la région.
Photo : Samian / Eve Marquis-Poulin
Si on visite la région pour la première fois, où suggérerais-tu d’aller?
Il y a une place qui m’a vraiment marqué : le parc national d’Aiguebelle. C’est hallucinant. C’est un endroit que je ne connaissais pas et que j’ai découvert ; j’y avais amené mon fils et mon neveu. Quand on parle de canyons, de paysages, de vraiment vouloir s’évader… Sinon, s’éloigner le plus possible en forêt reste un classique pour moi.
Il y a aussi le lac Abitibi pour son côté historique : les anthropologues, les historiens et les archéologues y ont retrouvé quasiment 8 000 ans de présence algonquine. Pour moi, la Pointe-aux-Indiens au lac Abitibi est un lieu historique au même titre que les pyramides de Gizeh. Il devrait d’après moi être mis en valeur à travers le Québec, à travers le Canada.
Est-ce que des endroits de la région évoquent chez toi des souvenirs ou t’ont inspiré des textes?
La réserve faunique La Vérendrye. C’est la route où je pense que j’ai écrit le plus de textes dans ma vie, en traversant le parc qui relie les Laurentides à l’Abitibi-Témiscamingue. Ce parc, je l’ai tellement fait souvent dans ma vie! À chaque fois que je le traverse, quand je suis seul en voiture ou même en famille, il y a tout le temps des moments d’inspiration. Je l’ai traversé à travers toutes les températures possibles : autant lors des couchers de soleil, dans des tempêtes de neige, à l’automne quand les couleurs sont magnifiques… Ça reste un lieu extrêmement inspirant pour moi.
Quel est l’endroit que tu suggérerais pour un rendez-vous en amoureux?
Premièrement, il faut que ce soit à l’automne parce qu’en Abitibi il y a tellement de moustiques l’été que je n’y vais même plus! La première fois que je suis parti avec ma femme en Abitibi, on s’est arrêtés dans le parc de La Vérendrye, sur le bord d’un lac. Les paysages sont magnifiques. Si on le fait de nuit, on peut voir des milliers d’étoiles. C’est extrêmement paisible, ça fait du bien à l’âme…
Photo : pow-wow de Pikogan / Marie-Frédérique Frigon
Un incontournable où manger?
Il faut goûter à la cuisine traditionnelle de gibier et de viande sauvage que les aînés font à Pikogan. Dans les pow-wow, les gens peuvent aller goûter la cuisine traditionnelle algonquine. Il n’y a pas de restaurant en soi parce que c’est interdit par la loi de vendre de la viande sauvage, mais c’est très accessible quand on va sur la réserve, que l’on connaît des gens et des chasseurs. Il n’y a pas un endroit où tu vas t’asseoir au restaurant et te commandes de l’orignal ou de l’outarde.
Ces repas sont toujours axés sur le partage, et ça reste mes repas préférés, des incontournables. Il faut bien se renseigner pour y avoir accès, mais les aînés dans les communautés se font toujours un plaisir de faire goûter ça à des invités. Si on s’informe bien sur les attraits touristiques que Pikogan offre, on peut très bien partir en canot, s’arrêter faire un feu et manger de la bonne viande sauvage. Bercé par l’Harricana [aucune visite en 2020, ndlr] propose par exemple des séjours en canot avec tipi, viande sauvage, etc. Il y a une pourvoirie où on peut aller pour la pêche et manger du poisson directement sur le bord du lac…
Quel est le bijou méconnu et sous-estimé que les gens ratent souvent quand ils visitent ta région?
La Pointe-aux-Indiens du lac Abitibi. C’est un lieu historique par la présence d’un ancien monde. Mes ancêtres sont enterrés là ; j’ai vu les pierres tombales de mes arrière-arrière-arrière-grands-pères. Mes arrière-grands-parents se sont rencontrés et mariés là. C’est méconnu, pas seulement des gens qui passent en Abitibi, mais aussi des gens qui vivent dans la région. Je pense que le côté historique est très puissant quand on va sur la Pointe-aux-Indiens.
Photo: Lac Abitibi / TQ – Jean-Pierre Huard
Comme tu es aussi photographe, quels sont tes endroits de prédilection où prendre des photos?
Partout où il y a des humains, des gens qui nous en apprennent sur la vie. Je pense que ce ne sont pas les endroits qui font la personnalité des gens. Moi, j’aime bien Pikogan, la nation anishnabe du lac Simon, les communautés autochtones… Je pense que le pow-wow de Pikogan est l’un des meilleurs endroits pour faire de la photographie. Ça se passe une fois par année aux alentours du 21 juin. On entend un peu moins parler de celui de Lac-Simon, dans le coin de Val-d’Or, ces dernières années. Les pow-wow, c’est une ouverture culturelle à tous. Il y a des gens de partout dans le monde qui ne viennent que pour ça.
Tu as présenté Les enfants de la Terre au Centre d’exposition d’Amos. Qu’est-ce que ça t’a fait d’exposer tes photos dans ta région natale?
C’était la fin de l’exposition, ça a été la dernière exposition de la tournée. C’est fou parce que la plupart du temps on œuvre ailleurs que chez soi. Même aujourd’hui, je vis dans les Laurentides. Le sentiment de rentrer à la maison ajoute un petit côté émotif à chaque fois. En même temps, il y a un sentiment d’accomplissement quand on rentre à la maison pour faire une exposition ou un spectacle. L’expression « nul n’est prophète en son pays » s’applique à tout le monde.
Qu’est-ce qui selon toi bâtit des ponts entre les Blancs et les Autochtones?
Quand on a célébré le 100e anniversaire de la ville d’Amos [en 2014, NDLR], on s’était produits en spectacle et on avait fermé la 1e avenue : c’était énorme, on avait eu une prise de conscience sociale. C’était particulier pour moi sur scène parce que mon fils, ma mère, ma grand-mère et mon arrière-grand-mère étaient présents ; il y avait cinq générations à ce spectacle.
Mais je ne peux pas croire qu’Amos et Pikogan fassent encore chacune des activités de leur côté. Pour être capables de se rejoindre et d’offrir des activités touristiques pour les gens qui viennent en région, il ne faut pas oublier que c’est un territoire algonquin, qui n’a jamais été cédé. Il faut trouver un juste milieu entre la fierté de notre culture et la terre qu’on décide d’aller visiter. On ne peut pas passer à côté du côté historique et de la présence algonquine.
Photo : Centre d’exposition d’Amos / Sylvain Tanguay